L'harmonica : une paternité nébuleuse
Compagnon du cow-boy, du bluesman et du Dylan, l'harmonica nous revient des États-Unis comme emblème de la culture folk et nomade. Pour autant, le chemin qu'il emprunta pour y parvenir est inattendu.
Le père Amiot était un prêtre, jésuite qui lors de sa formation intellectuelle, au milieu du XVIIIe demanda à être missionné en Chine. Il entra à la cour impériale et tomba amoureux de la culture locale. En 1770, un étrange instrument à vent, nommé Sheng, arriva en occident avec un de ses envois. Le son qu'il produisait intriguait et, au début du XIXe, plusieurs inventeurs, facteurs allemands tentèrent d'en adapter le fonctionnement ancestral (3000 avant J.C). Le sheng est composé d'une embouchure et d'un réservoir d'où part un nombre variable de tuyaux au sein desquels vibre une anche libre (fixée par un point seulement, le reste étant libre de ses mouvements). Et c'est cette dernière particularité : la anche libre, qui attirait l'attention, ouvrait de nouveaux champs de recherche – qui conduiraient à l'harmonica mais aussi à l'accordéon, l'harmonium, le mélodica.
Papa où t'es?
Parler de la genèse de l'harmonica est un exercice difficile puisque l'instrument, longtemps considéré comme un jouet, une babiole amusante, ne méritait pas selon ses contemporains d'en assurer la mémoire.
Nous supposons cependant que dès 1821 un très jeune homme du nom de Buschmann aurait construit une des premières version d'un proto-harmonica, qu'il appela Aura, puis Aeoline (l'objet a existé mais aucune Aeoline de Buschmann n'est parvenue jusqu'à nous et la date de son invention demeure sujet à caution). L'instrument est un orgue à bouche composé de 15 anches d'acier positionnées côte à côte qui ne joue que les notes soufflées.
Durant les mêmes années, de nombreux autres facteurs, expérimentaient et développaient des instruments similaires : Christian Messner en Allemagne, Wilhelm Anton Thie en Autriche, James Bazin aux États-Unis. Il apparaît donc difficile d'accorder l'invention de l'harmonica à quelqu'un en particulier.

Industrialisation :
Durant les années 1825/35, la demande d'aeoline est florissante, l'objet devient plus un accessoire, un gadget à la mode qu'un instrument de musique. Les coquettes la portaient en collier, les dandys à la main. De nombreuses manufactures et bijouteries démarrèrent la production pour répondre à cette popularité croissante, parmi lesquels un certain Hohner, horlogé voisin de Messner. Il racheta rapidement les plus petites compagnies et industrialisa la production pour passer de 650 pièces en 1857 à 1 million en 1887 et jusqu'à 20 million en 1920. Il exporta massivement son harmonica vers les États-Unis où son expressivité et son format de poche l'avaient destiné à compléter la panoplie du voyageur et du cow-boy. Ces derniers l'auraient notamment utilisé pour calmer leurs troupeaux.
L'homme de l'ombre :
En parallèle, l'instrument évolua durant les années 1830/50 sous l’impulsion d'un mystérieux Mr Richter – nulle trace concrète du personnage. L'homme aurait été tchèque, venant de Nový Bor, ville de Bohème. Il appliqua à l'harmonica des idées déjà éprouvées sur l'accordéon diatonique. Il reprit d'une part son réglage : les notes sont disposées selon un arrangement typique du clavier de cet instrument et de l'autre, les anches doubles : une réagissant au souffle, l'autre à l'aspiration, chaque trou pouvant jouer deux notes. Enfin, c'est surtout la manière de fabriquer les harmonicas qui présenta une réelle innovation. On passe alors de l'aeoline composée de simples anches alignées sur un support à l'harmonica moderne : deux plaques possédant une
rangée de anches fixées à un sommier central et protégées par des capots métalliques.
Le chromatique :
En plus du système Richter diatonique, se développèrent de nouveaux types d'harmonicas dont le chromatique à tirette est aujourd'hui le plus représenté. Il s'agit de deux harmonicas type Richter superposés, le second étant accordé un demi ton plus haut que le premier. En poussant un bouton sur le côté, on déplace une tirette grillagée vers les orifices du second jeux de anches, obturant le premier. Au repos, le grillage laisse passer l'air dans le premier, obturant le second. Cet harmonica dispose donc de deux fois deux notes par trou. Le brevet fut déposé par Hohner en 1910 mais le concept remonte à la fin XIXe.
Postérité :
Si l'instrument fut inventé en Allemagne et se vendit durant les quelques décennies d'un effet de mode à travers l'Europe, c'est d'abord aux États-Unis qu'il connut un succès durable et une véritable existence instrumentale. Moins cher que le violon, très expressif et agile, il trouva rapidement une place au sein des orchestres de blues où il devint un instrument soliste à part entière. Il s'intégra ensuite naturellement à la musique folk et au country. Le modèle chromatique, quand à lui, préféré pour la régularité de sa sonorité (les notes altérées du diatonique sonnent différemment des notes naturelles), conquit le monde du Jazz. L'iconographie américaine, à travers le mythe du cow-boy, se chargea de le vendre au reste du monde.
L'harmonica, bien plus fiable aujourd'hui qu'à l'époque, reste un instrument à coût modique et dont le format de poche est parfaitement adapté aux baroudeurs et musiciens accros à leur ruine-babine. Ses multiples variantes et tonalités ainsi que les techniques de jeu modernes permettent d'éprouver ses talents de musicien dans presque tout les styles musicaux.